Taminu

Crête-Etoile, 8 Scorchedsky 3779

Je viens de relire mes écrits de la veille.

Je sais bien que je suis injuste mais la colère l’emporte et des mots durs me viennent à l’esprit. Cette sans caste s’immisce dans les affaires des Erudits, et dans les miennes en particulier depuis trop longtemps. Je ne rêve que de vous retrouver tous les deux, saints et saufs. J’attends un signe de vous. Je voudrais que nous ayons déjà quitté cette ville nauséabonde.

Nous n’avons rien à apprendre des indigènes, et il n’y a pas d’échange possible avec eux, j’en suis convainque. J’ai déjà rencontré plusieurs spécimens. Ils avaient perdu je ne sais quoi et le cherchait dans tout Qeynos. Nous avons pénétré une habitation pour leur recherche. Dans quel type de civilisation se croient-ils ? Les livres jonchaient le sol et les meubles n’étaient pas posés droits…

Je ne souhaite aucunement revivre cette expérience, ne serait ce qu’à cause du bruit et des odeurs ! Je ne veux pas avoir à m’adresser à eux ni qu’ils s’adressent à moi. Nous n’avons rien en commun et je n’ai ni le temps ni la volonté de m’abaisser jusqu’à eux. Et pour en retirer quoi ? Des puces ?

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Crête-Etoile, 22 Scorchedsky 3779

Bruine est parvenue à convaincre le Conseil. C’est un véritable cauchemar.

Je vais me cloîtrer chez moi, je me barricaderai s’il faut ! Je veux devenir une goutte d’eau, j’irai me perdre dans l’océan et personne ne saura que j’ai existé. Plutôt disparaître que d’avoir à me mêler à la lie de la création.

Oh très chers parents, si vous étiez à mes côtés, je sais que vous me guideriez et je n’aurais pas la sensation d’avoir à obéir à une étrangère.

Ici la situation est catastrophique, la moitié du Conseil a perdu la raison, à tel point que j’en viens à regretter la personnalité fanatique de Valner. Lui aurait su verrouiller tous ces débordements anarchiques. Je ne suis pas de taille, vous m’avez laissée comme un agneau dans la tanière du loup.

Je lui ai donné ma parole, j’en ai des nausées.

Le calvaire commence demain.

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Crête-Etoile, 23 Scorchedsky 3779

J’ai cédé ! Encore une fois !

Par Quellious, j’ai cédé pour la dernière fois.

Comme je la déteste ce jour, (et combien elle va me manquer ensuite, je le sais. Elle n’est pas déjà partie et pourtant…)

Je n’ai jamais vu Bruine dans une telle fureur, j’ai cru un instant qu’elle allait me fesser. Ma rencontre avec ses amis s’est passé au plus mal, j’y ai mis toute la mauvaise volonté dont je suis capable.

Je me suis volontairement comportée selon les préjugés en vigueur et je suis même parvenue à invectiver la seule personne qui aurait pu m’aider dans le lot. Ce n’était pas mon intention en premier lieu, je ne sais pas ce qui m’a prit. Il a exigé que je lui donne un titre. J’ai trouvé blessante l’importance qu’il y accordait. Il était plus facile sans doute, d’être ce que l’on attendait que je sois, que de m’exposer véritablement, comme en miroir à celui que j’ai eu en face de moi, emmuré dans son apparente insensibilité malgré son désir criant de reconnaissance et d’appartenance.

Si elle l’aime tant, ce Nuadun, qu’elle l’emmène avec elle !

Elle part demain et mon coeur se déchire.

Son ami s’est perdu quelque part en route.

Demain je tâcherai d’être moi, si j’en ai la force. Il est possible que cette expérience me permette de prendre du recul par rapport au Conseil finalement. Hors de leur influence directe peut être y verrai-je plus clair . Je sais bien que je ne pourrais pas indéfiniment repousser certaines décisions me concernant.

Quellious, entend mes prières et guide mon esprit.

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Crête-Etoile, 25 Scorchedsky 3779

Je ne sais rien. Je n’ai plus que des doutes.

Qui ment et où est la vérité ?

Mes chers parents comme je voudrais vous avoir près de moi, je me sens si seule et si perdue. Bruine est partie, je crois qu’elle a regretté de ne pouvoir vous dire adieu.

Pourquoi veut-elle que je fasse miens ses amis ?

Je me mêle aux autres mais cet effort m’épuise. Ils laissent leurs émotions et leur aura impudiquement flotter autour d’eux. Je suis assaillie par leurs messages inconscients et je ne parviens pas à m’en protèger. Comme je regrette de ne pas avoir de glyphe !

En comparaison Nuadun et Dvilic sont de vrais hâvres de paix. Lui et l’Ayrd’Al savent mieux se maîtriser que les autres. Le métis sent le sumac et les résines, je trouve cela réconfortant tant mon laboratoire calme et feutré me manque quand je suis dehors.

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Crête-Etoile, 26 Scorchedsky 3779

La honte est sur moi. J’angoisse d’avoir à sortir de mon laboratoire.

Je vais d’échec en échec, j’en viens à douter de mes propres capacités, j’ai été plus que présomptueuse assurément mais à quoi cela sert-il de tout comprendre si tous autour agissent à l’inverse de leurs intérêts, de leurs besoins ou de leurs désirs ?

J’ai voulu bluffer la tierd’al pour résoudre la situation. Tout me paraissait limpide, et j’ai été prise à mon propre jeu.

Ce fut ignoble, et à son réveil j’ai cru perdre la raison.

La propre fille de Bruine.

Je n’ose coucher sur le papier, même ici dans le secret, l’horreur de mon geste, et je tremble de connaître un jour le châtiment que je mérite.

Tout est allé si vite. Je me suis retrouvée à courir après un kerran dans Port-Franc.

D’erreur en bassesse en déshonneur.

Je ne me reconnais plus.

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Crête-Etoile, 2 Warmstill 3779

Je tourne en rond aujourd’hui, les ouvriers ont terminé de traiter les boiseries chez moi mais je n’ai pas récupéré mon matériel, et il y a trop d’humains qui fréquentent l’atelier de la communauté.

L’Ayrd’Al Dvilic est passé me voir pratiquement dès son retour à Qeynos, cela m’a un peu contrariée car je n’avais pas même une chaise disponible comme les travaux allaient commencer le lendemain. Il était un peu agité, j’ai bien fait de l’autre jour la composition dont je lui avait parlée.

Nous avons devisé longuement comme je n’avais rien d’autre à faire. J’ai dû lui montrer comment je vois les choses car il prenait tous mes propos comme des critiques. Pour un être qui se défend de vouloir subir et utiliser les stéréotypes des autres ou les généralisations abusives, j’ai trouvé presque irritant qu’il me prête justement les traits caricaturaux habituels des Erudits.

Nuadun m’a rendu visite aussi, et j’en suis très heureuse. Nous avons pu nous expliquer au sujet de notre première rencontre et j’ai pu m’excuser. Je crois qu’il ne m’en tiendra pas rigueur, en tout cas je l’espère. Je sais que les érudits n’ont jamais gagné facilement le respect de Bruine, je me doute de la valeur de mon compatriote à ses yeux et je serais bien mal inspirée de ne pas en tenir compte, d’autant que la glyphe qu’il porte est extrêmement puissante.

Je lui suis aussi reconnaissante d’être resté quand l’animal Sigmur a pénétré chez moi sans y être particulièrement invité. Je pense que sans la présence de cet allié de circonstance il m’aurait sauté à la gorge. Le chaos qui le nimbe n’avait rien perdu de sa virulence, il n’est pas resté que quelques minutes mais j’étais déjà à bout de force, et sans mana, quand il a enfin quitté mes appartements. Il m’a explicitement menacée de représailles si je « faisais encore du mal à ceux qu’il aime ». J’étais trop occupée à me protéger de lui, sinon je pense que j’aurais ri tant son intervention était ridicule.

Je n’ai que du dédain pour ceux qui fuient.

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Crête-Etoile, 5 Warmstill 3779

Les mots sont trop faibles parfois, pour dépeindre les circonvolutions de l’esprit. Cette Mirryma que je croyais avoir outrageusement malmenée ne me tient pas rigueur du geste, plus préoccupée par les raisons qui m’y ont poussées que par le résultat, si piteusement grotesque. Pourtant rien ne saurait excuser cet épisode malheureux et j’appréhende la réaction des amis de la Tierd’Al. Après l’agression du Kerran… je crois cependant que j’en ai vu le pire.

Ma solitude me pèse d’autant plus que je suis confrontée à un univers qui m’est totalement étranger. Je suis gênée d’avoir à faire avec ces créatures, et je sens leur ranc½ur, leur amertume ou simplement leur curiosité à mon égard… Me tournerai-je en bête de foire ?

Est-ce utile vraiment ?

Bruine, fille de la pluie, pourquoi ne m’avez vous pas dit les raisons de cette dernière volonté ? Et surtout comment avez-vous pu convaincre les miens que cette entreprise était nécessaire ? Dois-je me transformer ou m’enfermer pour survivre ? Comment puis-je savoir ce qui est le mieux ?

Si l’intérêt de la communauté doit primer sur le reste, alors je n’ai d’autres choix que de m’isoler ainsi que j’en avais l’habitude jusqu’alors. Mais je sens bien que même cette voie me fait perdre de vue ce qui m’importe. Et par-là il me semble mieux saisir ce que Bruine voulait. Comment pourrais-je comprendre mes compagnons si je ne peux accéder ne serait–ce qu’à leur quotidien ?

Je n’ai pas de solution parfaite, mais il faudra que j’assume mes choix. Je serai seule à les faire, la seule à les porter. J’espère simplement que je serai la seule peut être à les regretter.

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Crête-Etoile, 7 Warmstill 3779

Hier j’avais rendez vous avec les Seigneurs de l’Alliance pour mettre en place les prélèvements, distribuer les antidotes et prodiguer des conseils sur la façon de combattre leur ennemi invisible. Je suis restée un peu penaude dehors, en attendant qu’on me livre la caisse que j’avais préparée avec soin. Je n’ai pas vraiment fait attention aux gens qui étaient présents, de toutes façons ils étaient trop nombreux pour que je puisse suivre la conversation.

J’appréhendais véritablement de recroiser Mirryma, ou l’officier humain dont je ne me souviens pas du nom. Je savais de lui qu’il est un peu comme Bruine de caractère. La fille des tempêtes avait loué les talents du guerrier plusieurs fois en ma présence mais je ne m’attendais assurément pas à ce qui suivit.

Il m’a sauté à la gorge en entrant dans le Hall. J’ai à peine eu le temps de sentir l’étreinte de ses doigts sur mon cou pourtant.

J’ai vu un monstre se jeter sur moi, la gueule béante, tout hérissé de piques acérées. L’air est devenu irrespirable tandis que mon bouclier volait en éclat au premier contact.

L’humain parlait, je crois, mais trop loin déjà pour que je puisse distinguer les mots, tandis que la ruée du monstre me déchiquetait l’âme. Il me traversa de part en part, la douleur fut insupportable mais elle n’était déjà plus seulement la mienne tout à fait. J’ai eu envie de mordre la main qui s’avançait, de la déchirer du bras qui la poussait. Je voulais lui infliger ma douleur, ma peur et ma frustration.

J’agitais mes pointes en tout sens, mais je n’avais plus de proie à portée.

Je me suis senti seul tout à coup, on m’avait abandonné sans que j’y sois préparé. Moi et tous ceux que je protège.

Ensuite, j’ai senti un étau brûlant se refermer sous mon menton, sur ma peau, et puis je me suis séparé en deux.

Ensuite… ensuite je ne sais plus trop, mes impressions restent floues. J’ai ouvert les yeux et quand j’ai pu marcher j’ai pris mes affaires et je suis partie. Je crois que l’humain m’a dit qu’il valait mieux pour tous que j’évite l’Alliance.

Je ne lui en veux pas.

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Crête-Etoile, 9 Warmstill 3779

J’ai fait le même cauchemar à plusieurs reprises tant la rencontre avec le berserk m’a marquée. Je dois prendre sur moi en journée pour lutter contre cette sensation de solitude et de colère. Méditer et Prier Quellious m’aide bien moins que j’aurai voulu. Du coup j’hésite à sortir de chez moi, mais il faudra vite m’y résoudre ne serait-ce que pour collecter les composants qui me manquent.

J’ai renvoyé un peu sèchement Mirryma puis Dvilic, qui, l’un après l’autre, m’ont rendu visite…

J’ai beau tourner la situation dans tous les sens je ne parviens pas à prendre de décision. Je reste pourtant convainque que le Conseil à tord, malgré sa grande sagesse habituelle. Je sens certaines influences extérieures, probablement dues à des considérations politiques qeynosiennes, et j’ai du mal à ne pas m’en agacer.

Ce n’est pas étonnant, vu mon état d’esprit, mais c’est très handicapant quand je m’adresse aux miens. Ils s’en sont forcément rendus comptes, et cela va finir par jouer contre moi et contre mes projets.

Je ne sais s’il est sage de décider de mon sort alors que je suis sous influence, mais j’ai très envie de chercher de quoi me protéger malgré tout. Si je peux toutefois garder mes facultés de lecture se serait parfait évidement, mais je crois que ça ne sera pas possible. Il me faudra probablement vivre comme une érudite normale et cette perspective ne m’enchante pas le moins du monde.

Je me souviens avoir dit l’inverse à Dvilic-une-lame l’autre jour quand il est venu chercher les antidotes.

Existe-t-il une technique, une magie ou une prière qui puisse m’éviter les imprégnations involontaires ? Ou bien est-ce lié au fait de lire aussi loin ? Je ne suis pas à même de faire cette étude puisque j’en serais le sujet. A qui pourrais-je bien confier cela… J’entrevois déjà les dangers d’une telle requête car je n’ai plus, dans mon entourage immédiat, de compatriotes à qui je pourrais faire une telle demande sans craindre que cela ne soit un jour utiliser à l’envers de ce que j’aurais voulu.

Me voilà bien seule.

Très chers parents, comme vos conseils avisés me manquent.

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Crête Etoile, 12 Warmstill 3779

J’ai mis les pieds sur Faydwer… je n’aurais jamais pu y croire si on m’avait dit que je le ferais un jour !

Je n’ai pas visité vraiment mais j’y suis passée, c’est tout de même mieux que les lithographies, mais il y règne un chaos très surprenant. Je préfère les endroits plus calmes, ce qui n’est pas surprenant.

J’ai pu faire la rencontre du prophète de Quellious. Grise, avec sa simplicité extrême, m’a fait remarquer qu’il y avait peut être une chance pour que la Tranquile soit capable d’atténuer mes soucis…

Elle est très étrange cette fillette, à la fois si sage et si ignorante de tout. Son bon sens aurait pu me sauver la mise, si les choses avaient été un peu plus simple, oui.

Quoiqu’il en soit j’ai pris ma décision cette fois, hors de toute influence émotionnelle extérieure. Je sais maintenant quelle est ma voie avec certitude.

 

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